« Faisons l’ homme à notre image, selon notre ressemblance… » (Gn 1:26)
Dès le premier chapitre de la Genèse, deux mots-clés décrivent la croissance de l’humanité : « image » (tselem) et « ressemblance » (demouth). D’un côté, tselem révèle la nature profonde de Dieu présente en l’être humain ; de l’autre, demouth suggère une vocation, un état d’être ou un potentiel à incarner pleinement. Autrement dit, l’Homme porte déjà la nature divine en lui et est invité à déployer toujours davantage cette ressemblance.
Fait intrigant : dans les Écritures, ce chemin vers la ressemblance s’entrelace subtilement avec le commandement d’aimer — non comme un simple acte moral, mais comme une dynamique intérieure capable de révéler ce que nous sommes réellement. D’ailleurs, le mot hébreu דְּמוּת (demouth), « ressemblance », recèle en lui-même quatre lettres, chacune évoquant une étape sur ce sentier intérieur :
1. ד (Daleth) : La porte, l’ouverture
Daleth peut se lire comme la « porte » permettant d’entrer dans l’expérience de l’union avec le divin, la nature intrinsèque de tous. Elle symbolise aussi l’humilité, la disponibilité et l’ouverture.
Cette dynamique trouve un écho dans l’enseignement de Jésus (Marc 12:31), qui pointe l’amour du prochain comme le commandement unique — « la loi de la liberté, la loi parfaite », selon Jacques (Jacques 1:25). Aime Dieu de tout ton être, et aime ton prochain comme toi-même apparaît alors comme une porte (à l’image de daleth) menant à une vie intérieure plus profonde. Ainsi, l’amour agit comme un mouvement spirituel qui actualise ce que nous portons déjà en nous : l’image de Dieu.
C’est ce mouvement intérieur que Jésus souligne lorsqu’il exhorte à demeurer dans son amour (Jean 15:9-10). Il ne s’agit pas de se conformer à une règle extérieure, mais d’entrer dans une attitude d’union à Dieu et aux autres. Obéir ici, c’est se laisser conduire vers notre intériorité, rester dans le flot et l’essence d’amour qu’est Dieu, vers une croissance spirituelle où s’ancre davantage la ressemblance (demouth) au coeur de notre nature profonde (tselem).
2. מ (Mem) : L’eau, la vie intérieure
Mem est liée à מַיִם (mayim), « les eaux ». Elle évoque la source, la matrice ou la profondeur intérieure : « Le royaume est au dedans de vous » (Luc 17:21).
Après avoir franchi la « porte » de l’amour, on découvre ces « eaux intérieures » où notre nature divine se dévoile — mais pas seulement : ces matrices intérieures nous donnent aussi la possibilité de sonder et de nommer ce qui nous anime ou nous fait réagir inconsciemment. L’intériorité n’est donc pas synonyme de passivité ; elle requiert une certaine attention intérieure active et aimante dans la connaissance de soi. Ce travail intérieur devient une gestation, un élargissement de la perception, une vraie conscientisation.
Apprendre à s’aimer soi-même, c’est d’abord apprendre à se connaître ; et cette connaissance de soi demeure inséparable de la reconnaissance de l’essence divine qui habite en nous. Et cette traversée — cette expérience des matrices intérieures — constitue un passage incontournable pour refléter l’amour envers notre prochain depuis notre véritable nature. Sans cela, et bien souvent à notre insu, nous entretenons un jeu de reconnaissance, d’acceptation et de manipulation, subtilement centré sur nous-mêmes plutôt que librement offert dans le don de l’amour.
3. ו (Vav) : Le lien, l’union
Vav, en hébreu, sert souvent de conjonction (« et ») et symbolise la connexion entre les cieux et la terre, entre Dieu et l’Homme.
Sur le chemin de la ressemblance, cette lettre marque l’unité : l’Homme, enraciné dans l’amour et abreuvé à la source intérieure, s’unit à la volonté d’Abwoon (Père/Mère). La synergie divino-humaine se déploie. La « réalisation du Père » en soi devient la source consciente de notre activité : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne fait que ce qu’il voit faire au Père » (Jean 5:19).
Il s’agit là d’une expérience à la fois merveilleuse et déroutante : découvrir, à une profondeur insoupçonnée de l’être, que l’Homme ne peut rien opérer par lui-même. Nous croyons pouvoir faire, mais en réalité — et d’une manière bien mystérieuse — l’énergie (‘energeia’) de Dieu demeure le terreau de toute action. Sans Lui, aucune activité, quelle qu’elle soit, ne serait possible. Bien sûr, cette réalité spirituelle pourrait soulever de nombreuses questions, mais au-delà de cela, Jésus nous dévoile la voie de l’unité, celle de l’Arbre de vie, où la dualité — cette illusion plaçant l’Homme comme une seconde puissance à côté de Dieu — ne tient plus et perd tout sens.
4. ת (Tav) : La complétude, l’accomplissement
Tav est la dernière lettre de l’alphabet hébreu, signe de plénitude et de sceau final.
Elle représente l’aboutissement du processus : la ressemblance pleinement accomplie, où l’Homme reflète sa nature divine — l’image de Dieu : Christ. Ainsi, le fils peut dire : « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14:9).
Ce chemin rejoint le principe biblique : l’Homme porte déjà l’« image » (tselem), mais il est destiné à grandir « en ressemblance » (demouth). Jésus incarne et dévoile l’essence de cette dynamique lorsqu’il enseigne l’amour comme « nouveau commandement », et insiste :
« Comme le Père m’a aimé, j’ai demeuré dans son amour.
Demeurez dans mon amour.
Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour,
de même que j’ai gardé les commandements de mon Père,
et que je demeure dans son amour. » (Jean 15:9-10)
Obéir à ce commandement de l’amour n’est pas tant un acte moral qu’un acte spirituel. C’est d’abord entrer dans le Royaume, à la fois intérieur et extérieur (cf. Évangile de Thomas, logion 2). C’est franchir la porte (daleth) qui ouvre sur l’intériorité (mem), nous reliant au Père (vav), jusqu’à l’accomplissement (tav).
L’attention aimante, offerte à l’autre et enracinée dans le silence de notre être, devient alors une clé — façonnée par l’amour — pour ouvrir la porte de l’Être indicible.
Waouh c’est magnifique
Quelle profondeur, quelle richesse
Merci Fabien 🙏
Bonjour Fabien, oui, c’est magnifique et profond. Cela donne à réfléchir. Et c’est très bien ainsi. Merci pour cette étude. La phrase : franchir la porte -Daleth – qui ouvre sur l’intériorité -Mem- nous reliant au Père -Vav- jusqu’à l’accomplissement -Tav- résume bien l’étude. C’est très profond, encore Merci. Soyez bénis.
Merci ! Très riche.