J’aimerais explorer le thème du Royaume des Cieux, un sujet qui me tient particulièrement à coeur, comme le savent les lecteurs de « La Cité ».
En guise d’article d’introduction, je vous propose de nous arrêter sur l’une des paroles de Jésus que l’on trouve en Matthieu 5:3 :
« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. » qui pourrait aussi se dire :
« Heureux sont ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle, car à eux appartient déjà le règne des cieux. »
Quand je croyais savoir
Pendant longtemps, je pensais savoir. J’étais persuadée d’appartenir au courant religieux qui détenait, selon moi, la vérité complète. Même si je reconnaissais que je lisais peu la bible pour vraiment connaitre Dieu ou que je ne le priais pas assez comme je croyais que j’étais censée le faire, je me disais qu’au moins, j’étais du côté de ceux qui avaient les « bases solides » de la foi. Un peu présomptueux quand on sait qu’il existe près de 50.000 dénominations protestantes dans le monde, avec des façons de vivre l’Église et d’interpréter les écritures qui peuvent varier.
C’était un mélange chez moi entre une conscience de mes limites spirituelles et une conviction profonde et sincère que ma doctrine était la bonne. En tant que protestante évangélique charismatique, je pouvais me sentir, par exemple, dans une position « plus avancée » que certains frères et sœurs catholiques. Avec le recul, je vois aujourd’hui que cette attitude n’était rien d’autre qu’une forme subtile mais bien réelle d’orgueil spirituel, d’autant plus drôle que je lis et écoute aussi maintenant des catholiques qui enrichissent et élargissent ma vision.
Même lorsque j’ai commencé à remettre en question, il y a quinze ans, ma façon de vivre l’Église et la foi, cette mentalité arrogante de « savoir » s’est accrochée, parfois de manière inconsciente. Et honnêtement, il est probable qu’elle subsiste encore à certains endroits de mon cœur, là où je ne la vois pas.
Pourquoi pensons-nous savoir ?
Croire que l’on sait, surtout dans le domaine religieux, est souvent lié à des besoins, des peurs ou des mécanismes humains. Voici quelques-unes des raisons qui, je pense, peuvent nous pousser à penser que nous savons et qui s’entremêlent les unes aux autres. Certains points de cette liste m’ont moi-même concernée et peuvent parfois encore me tirailler.
- Le besoin de sécurité :
Croire que nous détenons la vérité nous rassure. Cela nous donne un sentiment de protection et, pour certains, que cela leur garantit le salut. La peur de tomber dans l’erreur ou d’être séduits par des hérésies peut nous rendre rigides et fermés. Nous pouvons rejeter ce qui bouscule nos certitudes, non par amour de la vérité, mais par peur de les perdre… et de se perdre. - L’orgueil :
Reconnaître que nous pouvons nous tromper peut être douloureux pour l’égo. Parfois, plus nous manquons de confiance, plus nous affirmons nos certitudes avec force, même si elles sont fragiles. Avoir une connaissance approfondie des Écritures peut devenir une source de fierté. Nous pouvons confondre connaissance intellectuelle et union avec Dieu. Pire encore, certaines expériences spirituelles puissantes (prophétique, guérison, etc.) peuvent nous donner l’impression que Dieu valide toutes nos théologies, conceptions de Lui, alors qu’Il se révèle souvent simplement là où nous en sommes. - La peur du doute :
Le doute peut être perçu comme un manque de foi ou de maturité spirituelle, ce qui peut nous pousser à éviter tout questionnement. Pourtant, admettre nos doutes, même si cela peut être inconfortable, nous rend plus authentiques et donne la possibilité à Dieu de renforcer ce qui est juste. - Le besoin d’appartenance :
Nous avons le besoin naturel d’appartenir à un groupe. Penser que notre église, notre communauté, notre courant religieux « sait » nous donne un sentiment de validation. Cependant, cette appartenance peut nous enfermer dans des schémas où tout ce qui vient de l’extérieur et ne colle pas à LA vision est vu comme suspect ou erroné. Nous pouvons aussi craindre d’être rejetés par notre groupe si nous pensons différemment. Ne parlons pas de la crainte d’être « mis au bûcher » par nos frères et soeurs dans la foi, qui est une pratique finalement encore courante aujourd’hui, mais par d’autres façons. - L’autorité des traditions :
Ce qui est transmis depuis des générations nous semble être la vérité. Sans nous en rendre compte, nous pouvons nous appuyer sur des traditions humaines sans les confronter à une recherche personnelle ou à l’expérience vivante de Dieu.
L’esprit des pharisiens
Nous le voyons dans les évangiles, ceux que Jésus rabrouait étaient les pharisiens, car ils pensaient tout savoir. Ils se voyaient comme les gardiens de la vérité, mais leur rigidité les aveuglait. Non seulement ils n’entraient pas eux-mêmes dans le Royaume, mais ils en fermaient aussi l’accès aux autres :
« Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! Parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux. Vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous n’y laissez pas entrer ceux qui veulent y entrer. » (Matthieu 23:13)
Jésus leur reprochait de placer des fardeaux inutiles sur les épaules des autres, sans jamais reconnaître leur propre besoin de réforme intérieure. Nous pouvons être, dans cette génération, comme les pharisiens des temps modernes.
Une réforme intérieure
Alors, si vous av(i)ez cette même mentalité religieuse que la mienne, « Être pauvre en esprit » peut en effet impliquer une réforme intérieure, un dépouillement. C’est reconnaître avec humilité que, devant Dieu, nous ne savons rien. Je crois que la réforme qui est en cours de toucher l’Église passe forcément avant tout par des remises en question personnelles, et aussi théologiques. Je le vis moi-même, parfois de manière douloureuse, et je suis consciente que ce processus n’est pas terminé.
En 2023, après plusieurs expériences spirituelles fortes avec Dieu dans l’intériorité (= union, contemplation), j’ai senti pour la première fois une barrière tomber en moi et j’ai compris à quel point je ne savais pas. J’ai eu l’impression de toucher au Dieu inconnu, comme en parlent certains mystiques. Cela m’a bouleversée et m’a poussée à approcher Dieu non plus comme quelqu’un qui sait, mais comme une « apprentie » qui a tout à découvrir.
La suprême connaissance de Dieu est de connaître Dieu comme inconnu (Thomas d’Aquin – 13e siècle)
Être comme des enfants
« En vérité, je vous le dis, si vous ne changez pas et ne devenez pas comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » Mathieu 18:3
Jésus nous appelle à passer de la mentalité d’un adulte et/ou pharisien à celle d’un enfant. Les qualités requises : confiance, dépendance et humilité. L’attitude d’un enfant qui sait qu’il a tout à apprendre de son Père.
Nous venons souvent à Dieu avec des conceptions déjà formées qui, même lorsqu’elles nous semblent justes, peuvent devenir des limites. Comme l’a écrit mon mari Fabien il y a quelque temps : « Nous serions surpris de constater le nombre de projections que nous avons de Dieu qui ne sont pas directement connectées à notre expérience de lui. Et nous serions probablement choqués de réaliser comment ces idées de Dieu sont inconsciemment devenues des idoles, nous empêchant de vivre Dieu dans son essence. »
Cela rejoint les mots de Grégoire de Nysse :
« Les idées créent des idoles, seul l’émerveillement conduit à la connaissance. »
Même nos conceptions les plus pieuses peuvent prendre la place de l’émerveillement et de la Rencontre. Vivre Dieu avec un cœur d’enfant, ouvert à l’inconnu, est, je crois, la clé pour grandir spirituellement.
Reconnaitre notre pauvreté d’esprit consiste à laisser nos idées de côté (et même nos expériences passées) pour accueillir Celui qui est infiniment plus grand que ce que nous pouvons concevoir et qui fait chaque jour toutes choses nouvelles.
En conclusion
Je suis une apprenante ! Je ne sais pas tout, je me trompe forcément et je fais des erreurs. Mais Dieu ne nous demande pas d’être parfaits, ni de tout savoir. Il ne nous demande surtout pas d’ »avoir raison » et encore moins sur tout. Il nous invite à explorer davantage son Royaume et son coeur, et simplement de venir à Lui en disant chaque fois : « Apprends-moi, je ne sais rien. »
Aujourd’hui, pour ma part, il y a des endroits où la conviction théologique est remplacée par un point d’interrogation. Je n’ai pas encore la réponse, et c’est ok. Je dépend de Dieu, je Le laisse agir dans ma vie selon ce qui est important que je connaisse et rencontre de Lui, et de moi, pour ma vie, ici et maintenant. Encore une histoire de lâcher prise ! Il est ma sécurité et je lui fais confiance.
Et finalement, plus nous nous reconnaîtrons « pauvres en esprit », plus Il nous révèlera son Royaume et Ses richesses.
Dans le prochain article, nous plongerons dans cette exploration du Royaume des Cieux : une réalité intérieure qui nous appelle à un voyage. Dans l’attente, vous pouvez lire ou relire cet ancien article de Fabien sur ce même thème, publié il y a quelques années : ici
👏❤️ Tellement limpide, clair et rassurant : « Vivre Dieu, comme un enfant »…avec humilité, tout à apprendre dans la confiance