Loin du Père, loin de soi : le voyage du fils prodigue
La parabole des deux fils (ou plus souvent appelée la parabole du fils prodigue) est certainement l’une de mes paraboles préférées. Elle parle fort à mon cœur de l’amour du Père et d’identité. Je vous propose de la parcourir ensemble à travers une série d’articles pour « enfoncer le clou » des précédents. Celui-ci mettra l’accent sur le voyage du fils cadet, car oui, il est encore question ici d’un voyage et d’une quête. Cette analogie de Jésus, comme bien d’autres, parle elle aussi du cœur. Si jamais vous souhaitez relire le texte avant ou en même temps, il se trouve en Luc 15:11-32.
Une rupture filiale
Le fils cadet demande sa part d’héritage à son père. Quelles sont ses motivations ? Elles ne sont pas précisées, mais voici quelques pistes que l’on peut imaginer : envie de liberté, d’indépendance, prendre le contrôle de sa vie, sentiment d’injustice face à sa position (de second fils en l’occurrence), amertume envers le père, soif d’aventure… Liste non exhaustive. Réclamer son héritage avant le décès de son père transgressait les normes sociales et familiales de l’époque. Symboliquement, c’était dire : « Je veux ton argent, mais pas ta relation. Pour moi, tu es déjà mort. » Le fils prodigue incarne la fragilité humaine : le désir d’être quelqu’un, le « je » (ego) qui s’exprime, et la difficulté à reconnaître que l’amour et l’abondance étaient (sont) déjà là, près du Père.
Changement de demeure
Le fils cadet ne se contente pas de réclamer son héritage, il choisit aussi de partir loin de la maison de son père. Luc 15:13 : « le plus jeune fils ramassa tout et partit vers un pays éloigné. »
Le mot grec « eis » signifie « vers », « dans ». Il indique un mouvement vers un lieu : quitter un lieu pour un autre. Dans les textes antiques, choran, qui signifie « région, pays, espace », désignait une zone opposée à polis, la cité organisée et protégée. Cela peut symboliser dans l’histoire que quitter la maison du père (maison étant associée ici à polis) pour aller vers un pays lointain (ici choran) signifiait sortir de l’espace structuré et protégé, en d’autres termes : hors de la Cité de Dieu, le lieu de relation avec le Père où sont vécues les normes familiales établies et parfaites pour ses fils et ses filles. Ce départ est donc un éloignement non seulement du lieu d’origine, mais aussi de l’influence et de la protection du père. Ce « pays éloigné » fait bien sûr écho à la sortie du Jardin d’Éden.
Plus on s’éloigne, plus on se perd
Ce voyage loin du père illustre nos propres fuites intérieures, quand nous croyons que la vie véritable est ailleurs, ou même « plus tard », quand il y aura eu ceci ou cela, qui nous apportera enfin le bonheur que nous recherchions : nos « belles » illusions. L’éloignement du fils avait commencé dans son cœur avant même son départ, sinon, il n’aurait pas demandé son héritage. Quelles que soient les raisons, le fils avait commencé à se mentir à lui-même. Là encore, un très bon parallèle avec l’histoire du Jardin d’Éden : pour qu’Adam et Ève aient pris le fruit, il faut qu’il y ait eu un processus d’éloignement déjà parcouru dans leur cœur. Prendre le fruit en était la conséquence concrète (= demander l’héritage), puis s’ensuit le départ (= sortie du Jardin), puis la dégringolade (= autrement appelée « la chute »)… Il en est de même pour le fils cadet. Une fois parti de chez son père, son voyage à l’extérieur de la maison de son père et de sa présence commence, et il atteint un point où il s’enfonce peu à peu dans la débauche. Le fils a perdu son repère (et son repaire aussi). En « tuant » le père, il a « tué » le fils : il s’est coupé de son origine et de son identité. Le fils s’est éloigné de son propre cœur (sa maison), siège de sa véritable nature.
Arrêt au « désert » : lieu de mort et de révélation
Le fils touche le fond, il vit symboliquement la mort. Pour un Juif, s’occuper des porcs était une tâche particulièrement dégradante, ces animaux étant considérés comme impurs. L’humiliation est à son comble. Le fils n’a plus rien. Il est mis à nu en quelque sorte, dépouillé de sa richesse, de sa dignité et de ses illusions. La porcherie est pour lui comme le désert biblique, un lieu de solitude et de vide qui, heureusement, peut devenir aussi un espace de réflexion et de transformation, car nos cœurs peuvent enfin être prêts à y entendre la voix du Père. Le voyage n’est pas terminé, mais cette étape est cruciale car elle prépare à la renaissance et à la révélation.
Le retour intérieur : se souvenir et se relever
Le fils « rentre en lui-même ». Luc 15:17 : « eis heauton de elthon » (« étant venu en lui-même »). Nous retrouvons ici eis : vers. Le fils était parti vers l’extérieur, et il amorce ici son retour vers l’intérieur. Un mouvement intérieur de reconnexion à son origine : il commence à se souvenir. Au passage, cela me fait penser au lek lekha d’Abram : « va vers toi ». Pour le fils cadet, c’est un premier pas vers la maison de son père, vers le lieu de son origine. Et bien que l’histoire nous indique qu’il est encore trop tôt pour le fils cadet de le reconnaître, c’est aussi un premier pas vers sa véritable nature : celle de fils. « Je me lèverai et j’irai » se dit alors le fils cadet. Dans le texte grec, le mot pour se lever (anastas) vient du même verbe que celui utilisé pour parler de la résurrection (anastasis). Ce n’est pas un simple mouvement, c’est un se relever après une chute, un pas qui marque le passage de la mort spirituelle à l’éveil spirituel. Le début d’une renaissance.
Conclusion
Pour conclure ce premier article, le voyage du fils prodigue est une quête identitaire qui va le ramener à la source, à son père et, par voie de conséquence, à sa véritable identité. Mort à ses illusions, il pourra enfin trouver la réalité de qui est son père et qui il est lui-même dans le cœur de son père. Le voyage de retour du fils ne fait que commencer. Ce pays lointain était paradoxalement devenu l’espace où l’identité pouvait se révéler. Parfois, nous avons besoin de cet éloignement pour nous retrouver et retrouver le Père. Dans l’article suivant, nous explorerons les notions de réalité et mensonge, nous parlerons un peu plus de la renaissance sans oublier le merveilleux cœur du Père.
— Cette fumée noire, qu’est-ce que c’est exactement ? demandai-je. — Elle symbolise tout ce qui recouvre votre véritable identité. Qu’est-ce qui s’oppose à la vérité ? — Le mensonge ! s’exclama Uriel, plus vite que son ombre. — En effet, le mensonge s’oppose à la vérité, comme l’obscurité à la lumière. Et comment définiriez-vous le mensonge ? — L’absence de vérité ? suggéra Raph. — La tromperie ? proposai-je. — Oui, vos définitions sont correctes. Le mensonge peut prendre l’apparence d’une fausse information, d’une illusion, d’une dissimulation, d’un déguisement. Et comme tu l’as bien dit, Raph, même l’absence de vérité – autrement dit l’ignorance – est une forme de mensonge. C’est une vérité qui n’est pas encore dévoilée, ce qui peut mener à l’erreur. Le mensonge peut aussi être, tout simplement, ce qui n’est pas réel.